Comment la masturbation est passée du péché aux tuto bien-être ?

De nos jours, si vous parcourez un magazine ou un site de bien-être pour, vous tomberez probablement sur un article préconisant la masturbation comme une pratique self-care ou même un rituel de soins personnels. « Le jeu en solo est bon pour vous », affirme Women’s Health. « Être sexy avec vous-même est en fait bon pour vous », dit Cosmo. Soyons francs, comme pas mal de pratiques jugées impies par le passé, l’onanisme (féminin en particulier) est en train de prendre un bain de lumière médiatique après 200 ans de mise au placard.

Image : Votre corps n'est pas un temple, c'est un parc d'attraction

Plaisir solitaire, tout avait pourtant bien commencé

Jusqu'à récemment, l’opinion populaire sur le plaisir de soi était le contraire du bien-être. La masturbation a, durant tout le XXème et une partie du XIXème siècle, été considérée comme pécheresse, malsaine, et préjudiciable aux relations sexuelles en couple. Or, la tendance actuelle à normaliser et à prôner la masturbation, en particulier la masturbation féminine, n’est pas une première. Dans l’histoire de l’humanité de nombreuses civilisations ont vanté les pratiques onaniques pour des raisons aussi diverses que variées.

La première période où la masturbation était largement acceptée remonte à l'époque des civilisations anciennes. Le philosophe grec Diogène le Cynique était connu pour se masturber en public, affirmant : « Si seulement il était aussi facile de bannir la faim en me frottant le ventre. » Une statue d'une femme en train de se masturber a été trouvée dans l'ancienne Malte, et des pharaons égyptiens antiques se sont masturbés dans le Nil dans le cadre d'un rituel spirituel.

Image : représentation de la masturbation dans la Rome antique

Le péché d'onan

Et puis les religions monothéistes sont apparues avec leurs légions d’interdits. Mais bizarrement l’onanisme féminin comme masculin n’ont pas été envoyés au bûcher tout de suite. La raison de ce sursis ? On croyait à l’époque que le plaisir favorisait la fécondité ou autrement dit qu’il existait un lien entre plaisir et procréation. De nos jours ça équivaut à arborer une plaque diplomatique sur sa fiat Panda et drifter sur la Place de l’Étoile.


Malheureusement pour les pilotes de l’époque la science est venue mettre son nez dedans en annonçant de sa grande sagesse que non, wallou, quechi, nada. Le plaisir et la fécondation sont deux choses bien distinctes. Aïe ! On sent que la suite ne va pas être facile. La masturbation, pratique non-procréative, se voit rapidement taguée de pratique satanique contraire à la pureté de l’ordre divin. Rien que ça !

Image : le fameux

C’est ce cher Montaigne qui, au XVIème, met un mot sur l’acte déviant. « manustupration », ou l’addition de manus, « la main », et stupratio, « l’action de souiller » est né. Le mot va coexister avec « masturbation » pendant une centaine d’année avant que sa forme définitive et toute aussi sympa ne soit intronisée. Masturbation : du latin masturbatio : « prostituer ». Vous attendez la suite ? Vous n’êtes pas prêts.


L’an 1712 marque le début des vraies hostilités. La stigmatisation de la masturbation atteint son apogée, grâce au best-seller anglais « Onania » ; ou, le péché odieux de l'auto-pollution. John Marten, chirurgien mais charlatan avant tout lance une mode sobrement intitulée “La paluche, c’est pas cool” et qui va quasiment durer 300 ans. De quoi faire pâlir n’importe quel styliste et influenceur Insta.


En 1760, le docteur Tissot emboîte le pas de son ainé et publie « Traité sur l’onanisme ». Plein feu sur « la branlette », les holistiques vont s’en prendre plein les dents (titre). Un médecin visionnaire sentant l’opportunité crée alors la première collection de vêtements anti-masturbatoire. Disponibles dans tous les Zara et H&M de votre bourg. L’histoire se poursuit en 1791 quand un urologue affirme avoir connu « des écoliers qui, par cet acte trop répété, sont devenus bossus, ont eu l’épine courbée avec carie des vertèbres et sont morts ».


Peu de temps après la masturbation a largement été considérée comme un facteur de risque de maladies allant de la cécité à la constipation en passant par les paumes velues. La mutilation génitale féminine (également connue sous le nom d’excisions) explose. « L’idée était de réorienter la sexualité des femmes vers la seule voie culturellement acceptable : les relations sexuelles vaginales dans le mariage ».

Image ; d'un système anti-masturbation en forme de croix et prévu pour les enfants de plus de 5 ans

L’âge sombre du plaisir était en place et parti pour durer.
Pour le non-plaisir, on vous met une dernière anecdote quand même. À la fin du XIXème siècle une partie du système médical pensait que la consommation d’une nourriture « savoureuse » provoquait des envies d’onanisme tandis que des les aliments fades le décourageait. Une équipe de médecins et religieux a alors eu la fabuleuse idée d'inventer les céréales Kellogg’s Corn Flakes pour lutter contre la masturbation. Brillant !

Le retour en grâce de l'onanisme

Comme le dit l’adage après la pluie vient le beau temps. Et c’est vers le milieu du XXème que le sexologue Alfred Kinsey – ce héro – amorce l’éclaircie en publiant ses résultats de recherche. Coup de tonnerre malgré l’interdit, 90% des hommes et 62% des femmes se masturbe. Ça fait beaucoup de personnes pour dire que la masturbation rend l’humain bossu.


Mais le mouvement pour normaliser la masturbation prend vraiment son envol dans les années 60 et 70. À cette époque on voit fleurir les ateliers de masturbation de l'éducatrice sexuelle Betty Dodson, le pamphlet sur la sexualité féminine Our Bodies, Ourselves et les sex toys féministes. Du côté de chez nous, c’est le sexologue Philippe Brenot qui participera à l’avancée des mœurs en publiant « L’éloge de la masturbation »


«Les femmes étaient relativement encouragées à en apprendre davantage sur leur corps et à prendre le contrôle de leur sexualité et de leurs orgasmes, et on leur disait que la masturbation était une étape essentielle pour y parvenir», déclare Lynn Comella, professeure agrégée d'études sur le genre et la sexualité à l'Université de Nevada-Las Vegas et auteur de Vibrator Nation : Comment les magasins de jouets sexuels ont changé l'activité du plaisir.

Image : femme ayant le biceps droit sur développé par rapport au gauche

En 1972, l'American Medical Association admet que la masturbation n’est «ni physiquement ni mentalement nocive» et quelques décennies plus tard, en 1994, le chirurgien général Joycelyn Elders a suggéré que la masturbation soit couverte dans les programmes d'éducation sexuelle. Cette déclaration l'a fait licencier mais a laissé un héritage durable, y compris la désignation durable de mai comme mois national de la masturbation par le sex-shop Good Vibrations.

Les années 60/70 ont donc été un tournant dans la réappropriation de l’intimité par les individus eux-mêmes. Bien sûr des limites étaient toujours présentes et il fallut l’arrivée d’un allié (malheureusement non-désirable) pour réellement en finir avec la diabolisation du plaisir en solitaire.

Nous sommes dans les années 1980 et l’épidémie de VIH déferle sur notre monde. Sans armes pour lutter contre ce nouveau fléau la médecine tente de trouver des manières de lutter contre la propagation du virus et voient en la masturbation une alternative plus sûre aux relations sexuelles. C’est à partir de ce moment que la masturbation rompt définitivement avec les idées de pathologie qui lui étaient accolées.

Aujourd'hui, nous assistons à un effort quelque peu similaire pour empêcher la propagation du coronavirus. Pornhub, par exemple, a rendu son service d'abonnement premium gratuit pour encourager les téléspectateurs à rester à la maison. Les directives de la ville de New York sur le sexe et le COVID-19 contenaient une pépite qui était très célébrée sur Internet: "Vous êtes votre partenaire sexuel le plus sûr."

la masturbation selon Instagram : attention aux injonctions aux bien-être

Alors que le plaisir de soi est souvent accepté comme une simple envie physique pour les hommes, on a toujours supposé que les femmes se masturbaient pour une raison.

Bien que l'accent mis sur les avantages de la masturbation puisse aider à réduire la culpabilité et la honte, il peut également être problématique à certains égards. La masturbation peut être une source de bien-être et de découverte de soi, mais l'idée qu'elle devrait l'être peut faire pression sur les femmes pour que leur séance de masturbation ressemble à un post Instagram parfaitement présenté, tout rose millénaire et des vibromasseurs Hello Kitty.

Vous ne devriez pas avoir besoin de chanter un mantra et de siroter du kombucha pendant que vous descendez pour que votre séance self-care soit considérée comme non stigmatisée. C'est bien pour les femmes de se masturber simplement parce qu'elles sont excitées, et non dans le cadre d'une routine spirituelle. Si vous voulez simplement vous allonger sur votre lit dans un vieux t-shirt, des dents non brossées et un visage gras, en brandissant un vibromasseur tout en regardant des jeux pornos sur votre téléphone portable, c'est tout aussi valable.

Il reste également un double standard sexué dans les vues de la masturbation. Alors que le plaisir de soi est souvent accepté comme une simple envie physique pour les hommes, on a toujours supposé que les femmes se masturbaient pour une raison. Dans les publicités des années 1970 pour des jouets sexuels comme Prelude et Vagitone, la raison invoquée pour les produits était de devenir de meilleurs partenaires pour les hommes. Bien que les soins personnels soient peut-être une motivation plus saine, ceux qui en font la promotion oublient souvent le fait que les femmes ont aussi des pulsions sexuelles et n'ont pas toujours besoin d'une autre justification pour se masturber.

Une autre raison, peut-être problématique, pour laquelle le credo de la masturbation en tant que soin personnel a pris son essor chez les femmes est que les soins personnels ont tendance à être considérés comme «féminins». Étant donné que les soins personnels sont déjà associés aux bains et aux produits de beauté, la promotion de la masturbation masculine en tant que soin personnel pourrait même créer plus de stigmatisation autour d'elle. Le stéréotype demeure que la masturbation masculine est rapide et sale tandis que la masturbation féminine est «plus délicate»,.

Il serait formidable de voir la masturbation des hommes promue également. La masturbation ne doit pas être justifiée par aucune sorte d'allégations de santé pour qui que ce soit. Certaines personnes ont appris à cuire du levain pendant le confinement. D'autres ont appris à se donner des orgasmes. Tout est question d’envie personnelle.

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